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Tidiane THIAM: L'enfance d'un chef


Le jour de la remise du baccalauréat au lycée classique d’Abidjan, Tidjane Thiam éclate en sanglots. Ce ne sont pas des larmes de joie, mais de rage. Parce qu’il n’a obtenu qu’une mention « bien » au lieu de la mention « très bien » qu’il visait. Un 9/20 en histoire-géo a fait chuter sa moyenne, sans cela excellente. « Le professeur avait jugé la copie trop bonne pour être honnête », explique Daouda Thiam, l’un de ses frères. Leur père, qui venait d’être nommé pour la seconde fois ministre de l’information du président francophile Félix Houphouët-Boigny, n’a pas voulu intervenir pour corriger l’injustice, « de peur que l’on ne parle de pressions politiques ». C’était en juillet 1980.
34 ans plus tard, Tidjane Thiam, devenu le CEO reconnu du géant britannique de l’assurance Prudencial, va prendre la direction du Crédit suisse. Lors d’un débat public il y a quelques années, il a raconté qu’il se souvenait « encore très bien du passage avec “nos ancêtres les Gaulois” » : le censeur du lycée d’Abidjan, un Français, n’avait pas vraiment cru qu’il parviendrait à entrer dans une grande école à Paris. « J’étais très content de revenir deux ans plus tard pour lui annoncer que j’avais été admis à Polytechnique. » Haut la main.
Une maman illettrée Dernier de sept enfants, Tidjane Thiam a toujours voulu être le meilleur. « Quand on a quatre grands frères et deux grandes sœurs, ceux qui sont avant vous essaient tout le temps de vous rouler », explique Daouda Thiam, rencontré à Abidjan cette semaine. « Il faut être malin pour survivre. Et malin, Tidjane l’était certainement, espiègle et casse-pieds aussi. » Mais surtout, ajoute son grand frère, il avait l’esprit de compétition. Aziz, l’avant-dernier des cinq fils, de huit ans l’aîné de Tidjane, avait fait la prestigieuse Ecole centrale à Paris, qui forme l’élite des ingénieurs. « Nous avons découvert que Tidjane, alors âgé de 12 ou 13 ans, avait récupéré les notes d’Aziz et qu’il en avait fait des graphiques afin de placer ses propres notes dessus. Il voulait s’assurer qu’il était plus performant que son grand frère. » Cette volonté de réussite scolaire leur venait de leur mère, Mariétou. Issue d’une noble lignée de Yamoussoukro, nièce du président Félix Houphouët-Boigny, elle n’avait pourtant appris à lire qu’une fois adulte, lorsque les plus grands de ses fils étaient entrés au collège. Le grand-père, Papa Sow, avait refusé de l’envoyer à « l’école des Blancs ». Quant au père de Tidjane, il avait bénéficié d’une éducation à la française. Né en 1923 à Dagana sur les rives du fleuve Sénégal, 2 000 km au nord-ouest d’Abidjan, Amadou Thiam avait été inscrit d’autorité à l’école républicaine, malgré les réticences de son père. Et compte tenu de l’excellence de ses résultats, Amadou avait pu partir en France métropolitaine, d’où il était revenu diplômé de l’Institut international de journalisme de Strasbourg. A 36 ans, il devient directeur de Radio Côte d’Ivoire, dans sa patrie d’adoption, avant d’être nommé ministre de l’information, en février 1963. Tidjane Thiam a 7 mois et la vie s’ouvre à lui.
Une enfance à Rabat Seulement voilà, en août 1963, après quelques mois au ministère, son père est arrêté avec une trentaine de personnes soupçonnées d’avoir fomenté un complot contre le président. Finalement mis hors de cause, Amadou Thiam est nommé ambassadeur au Maroc en 1966. Entre 4 et 15 ans, Tidjane Thiam passe donc l’essentiel de son enfance à Rabat. « Nous étions l’une des premières familles noires à vivre là-bas. On générait une certaine curiosité », concédera-t-il plus tard, lors d’une interview à CNN. Tous les matins, un chauffeur emmenait les enfants à l’école. Mais très souvent le petit Tidjane s’endormait dans la voiture. Donc, le chauffeur revenait à la maison avec sa précieuse cargaison. « Mais le petit dort », chuchotait-il. Et il le portait dans sa chambre. Son grand frère Daouda se souvient encore du jour où ce petit manège s’est arrêté : « L’un d’entre nous l’a regardé et a remarqué que les paupières de Tidjane bougeaient… Il faisait semblant de dormir ! » Alors, pour le motiver, ses parents ont instauré un curieux contrat, raconte Daouda. Quand il était premier de sa classe, les grands l’emmenaient manger une glace à la vanille. A Rabat, puis à Abidjan, Tidjane en mangeait souvent. Augutin, l’un des autres frères, détaille le système Thiam : « Quand le mercredi on recevait les bulletins, si ce n’était pas bon, on n’allait pas au cinéma le lendemain. Pareil pour les grandes vacances : ceux qui étaient les premiers allaient en Europe et revenaient avec plein de souvenirs. Les autres allaient au village. Ça n’est jamais arrivé à Tidjane. Il ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième. »
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